dimanche 10 octobre 2010

En coulisse avec des grenouilles : l'anthologie Légendes! (2/3)


Deuxième partie : Jacques Fuentealba, anthologiste (suite et fin)


Suite de notre entretien avec Jacques Fuentealba sur Légendes!



Q - Est-ce une nouvelle étape dans ta démarche de promotion des autres imaginaires européens, et notamment hispaniques ?

R - Parlons très franchement… Ma démarche de promotion concerne principalement les textes hispaniques, qu’ils soient latinoaméricains ou espagnols, les micronouvelles francophones ou hispanophones (je souhaiterai m’attaquer au domaine anglophone de la flash fiction bientôt) et… mes propres textes ! (rires)

Deux raisons simples à cela, je me suis spécialisé (c’est un bien grand mot !) dans les littératures de l’imaginaire hispanique parce que je connais la langue, ai eu l’occasion de traduire des nouvelles d’un certain nombre d’auteurs et d’établir un petit réseau. Cela ne m’est pas possible dans les autres pays européen, du fait de la barrière linguistique et/ou tout simplement du temps. L’autre raison, c’est que je considère qu’il y a une profonde « injustice » (j’y mets les guillemets, tout de même) dans cette non-reconnaissance des auteurs hispaniques de l’imaginaire en France, au vu de la qualité de certaines œuvres et du public qu’ils sont censés pouvoir toucher. On ne parle pas là de quelques millions d’Italiens, de Danois ou de Grecs, mais de centaines de millions de lecteurs potentiels. Un continent presque entier ! Je parle bien de « lecteurs potentiels », tant il est vrai que l’imaginaire se vend moins en général dans les pays de langue hispanique que par chez nous, avec là aussi une prédominance sur le marché de traductions anglosaxonnes.


Q - Comment s'est déroulée la sélection ?

R- Ce n’est pas commun, mais en deux temps.

On a fait un appel à textes, monté un comité de lecture et j’ai transmis l’appel à mes contacts hispaniques : les auteurs que j’avais pu traduire dans Lunatique et ceux que j’avais repris dans Trafiquants de cauchemars. Au final, peu de retours de nouvelles en espagnol, et relativement peu de textes francophones correspondant à ce que je cherchais, sur la cinquantaine de récits reçus.

Après avoir lu tous les textes, nous avons effectué une première sélection, Céline Brenne, Jody Hartmann et moi. Benoît Giuseppin et Maxime Le Dain en ont lu également quelques-uns, ainsi que l’éditeur de Kymera/Outworld (Éric Bufkens). Les textes hispaniques n’étaient lus que par Céline et moi, faute d’autres lecteurs dans cette langue. Pour faire notre choix, nous sommes partis sur un tableau Excel avec trois gros critères de sélection, chacun noté sur 5 : Style et ambiance - capacité du récit à transmettre des émotions ; Cohérence et profondeur des personnages/Cohérence de l'univers ; Originalité (de l'univers, des personnages, du traitement du thème) et/ou Intérêt du récit pour le lecteur. Chacun de ces critères avait un commentaire rapide argumenté et on faisait également un commentaire général de conclusion. Le tout permettait de détacher les textes qui faisaient l’unanimité.

Un mot en passant sur l’autre grenouille embarquée dans cette aventure, Nicolas Chapperon. Sa nouvelle était de celles qui emportèrent l’adhésion de tous les lecteurs. Je dois avouer que je fus tout de suite emballé par « Le soldat à la cuillère » parce que j’y retrouvais des échos de Lord Dunsany et de ses dieux absurdes ou grotesques… et c’était aussi un des ingrédients que je recherchais dans mon anthologie. Son nom ne m’était de plus pas inconnu, puisqu’il nous avait déjà soumis pour le Borderline 10 (j’étais alors le rédac’chef de ce numéro spécial « hispanique ») deux nouvelles et que nous avions retenu « Aubes », une formidable réécriture hilarante des mythes aztèques.

Hormis ces trois textes, je n’ai pas eu l’occasion de lire d’autres de ses nouvelles, mais je pense que Nicolas Chapperon a une réelle capacité à travailler la matière mythologique et épique pour obtenir de petits joyaux…

On en arriva alors à former un début de sommaire et, en tant qu’anthologiste, il me revint de trancher sur le choix final. Ce n’est qu’alors, une fois les mails de refus et d’acceptation des textes envoyés que je me rendis compte que l’on était à court de nouvelles pour former une anthologie conséquente. La solution s’imposa alors d’elle-même. Faire preuve de plus d’ambition encore et contacter des écrivains de langue anglaise, si possible chevronnés. Le mot « légendes » prendrait plus de sens encore, si j’arrivais à en démarcher certains.

Après une nuit blanche passée à contacter des auteurs directement ou à travers Ellen Datlow, qui eut la gentillesse de me proposer tout de suite de transmettre à son carnet d’adresses conséquent mon appel à texte en anglais, le projet prenait une nouvelle ampleur.

Deuxième temps, donc, pour la sélection : Céline Brenne, Jody et, dans une moindre mesure Éric et Maxime, furent à nouveau mis à contribution pour les lectures de ces nouvelles – une soixantaine !

Les choix s’avérèrent particulièrement durs ! Il y avait beaucoup de nouvelles excellentes… Et on se retrouvait, la mort dans l’âme, à devoir les écarter. J’avais toujours cette idée d’une anthologie alliant les différents genres de l’imaginaire, et la portion de textes fantastiques était trop importante. Je me retrouvais ainsi à écarter « Nine Sundays in a row » de Kris Dikeman… que je proposais ensuite à Black Mamba (traduction de Céline Brenne), « Stray » de Benjamin Rosenbaum et David Ackert ou encore l’excellent « Until Sunrise » de Bill Congreve. Je fis d’ailleurs suivre un certain nombre de textes à Thomas Bauduret de Malpertuis, pour sa sélection annuelle de nouvelles et mon petit doigt me dit qu’il en a retenu au moins une. Certaines nouvelles traitaient aussi de thèmes trop proches et je dus me résoudre à ne prendre qu’une nouvelle vampirique. La lutte fut sanglante, sans jeu de mots ! Finalement, je biaisai et revins sur ma décision, n’arrivant pas à me résoudre à écarter la nouvelle de Melanie et Steve Rasnic Tem et celle de Brian Hodge, qui comptait chacune des enfants de la nuit parmi ses personnages. Après tout « Matin de peu » était centré sur le personnage de Van Helsing, tandis que « Le dernier testament » parlait de… eh bien vous le saurez en le lisant ! Il serait vraiment dommage de spoiler.


Q - Quel accueil reçois-tu, du public ou du "milieu", sur ta communication sur les auteurs hispaniques ? Est-il satisfaisant, enthousiasmant ou frustrant ?

R - C’est variable : un peu des trois en fait, selon l’interlocuteur. Une certaine partie du milieu semble apprécier que des traducteurs ou des acteurs de l’imaginaire français se penche sur autre chose que le domaine francophone ou anglosaxon. Je me souviens de l’enthousiasme très communicatif d’Hélène Ramdani, par exemple, au moment de me parler de Dimension Russie, sorti chez Rivière Blanche. À l’inverse, j’ai longtemps et souvent eu droit à des fins de non-recevoir de la part d’un certain nombre d’éditeurs, déguisé en des « envoie-nous des fiches de lecture, qu’on voit de quoi ça parle ». J’ai ainsi pu envoyer une dizaine de fiches de lecture différentes sur des romans d’auteurs espagnols ou d’Amérique latine, sans jamais avoir de réponses par la suite, malgré des relances. Les éditions du Riez, en revanche, s’étaient montrées très intéressées par certaines de ces fiches. Mais publier des auteurs étrangers n’est pas de tout repos pour une petite structure. Dès qu’il s’agit de traduire un roman, les frais du livre augmentent de façon importante, pour peu que vous deviez payer un traducteur. J’ai donc pris mon mal en patience et, en plus d’essayer de démarcher des éditeurs avec des livres hispaniques, j’ai commencé à traduire de la nouvelle de l’espagnol vers le français. Les directeurs de revue sont quelquefois enclins à placer des textes d’auteurs hispaniques, c’est le cas de Galaxies, de Black Mamba (même si nous n’avons au final publié que peu de traductions dans la revue), de Fiction, de Lunatique et de Borderline… Cette dernière m’a servi de « laboratoire » pour publier des auteurs à l’époque pour ainsi dire inconnus en France (Eximeno, Álamo et dans une moindre mesure Sergio Gaut vel Hartman), et planifier ce qui aurait dû être une sorte de hors-série de nouvelles hispaniques, Trafiquants de cauchemars, dont je parlais plus haut.

J’ai été très touché au moment de sortir cette anthologie, de voir que la plupart des auteurs et proches du fanzine Borderline me l’avaient commandée, comme un acte allant de soi, et avec un réel intérêt pour ces littératures.

Les gens croisés sur les salons ont l’air enthousiasmés par l’idée de pouvoir lire des textes hispaniques, et j’ai l’impression que l’auteur que je suis le plus ces dernières années, Santiago Eximeno, commence à éveiller quelques échos dans le fandom français. Mon affection pour cette sphère linguistique a aussi été à l’origine d’une belle rencontre dans le milieu. C’est en effet un goût que je partage avec l’inénarrable M’ame Sylvie Miller, et chaque fois que nous nous croisons, c’est l’occasion de sympathiques discussions sur le sujet, émaillées de beaucoup d’éclats de rire.

Évidemment, les auteurs hispaniques eux-mêmes sont le plus souvent ravis qu’on essaie de faire connaître leur travail en langue française. La production en Espagne et en Amérique latine, ainsi que le marché sont moins importants qu’ici. Pourtant, les auteurs et éditeurs du genre sont très actifs. Je vais radoter en rapportant un souvenir vivace que je raconte à droite à gauche, dès que j’en ai l’occasion, mais j’ai été particulièrement impressionné par le dynamisme des auteurs de l’association Nocte, qui regroupe les écrivains de terreur espagnols. Ils faisaient une réunion de présentation lors de la convention de SF de Huesca, l’Hispacon 2009, et la plupart ne devaient pas avoir plus de 35 ans, mais ils semblaient très décidés à avancer ensemble et à promouvoir le genre.


Merci Jacques pour ces réponses détaillées et enthousiastes, et à très bientôt, sans doute, pour des nouvelles de ton actualité littéraire personnelle !

Et nous vous donnons rendez-vous dans deux jours, avec Nicolas Chapperon dans le rôle de l’interviewé !

2 commentaires :

  1. super interview!!

    j'ai vu ce livre "aux chapiteaux du livre" à Béziers. J'ai hésité à l'acheter...faute de moyen...mais il ai sur ma liste de futur achat!!

    odinéaz.

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  2. Très intéressant en effet !
    Ca donne envie de se jeter sur Légendes !

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