jeudi 7 juillet 2011

La grenouille qui voulait publier son roman

Une petite grenouille, perdue au milieu de sa mare, se mit à pleurer. Ses larmes coulèrent sur son nénuphar à la dérive, roulèrent, roulèrent si bien qu’elles se mêlèrent à l’eau qui l’entourait. Alerté par les sanglots déchirants, l’esprit de la mare sortit de son profond sommeil et se matérialisa devant la jeune grenouille stupéfaite :
« Quel chagrin me tire de mon juste repos ? Quelle injustice le grand Super Grenouille, esprit de la Mare aux Nénuphars, doit-il réparer ?
— Je… Je suis perdue, grand esprit. Je…
— Et c’est pour ça que tu me déranges ? Tu n’as qu’à nager tout droit et tu retrouveras ta famille. Maintenant, laisse-moi !
— Grand esprit, attends ! Je sais déjà rentrer chez moi, mais…
— Parle !
— Je… J’ai écrit un livre, et maintenant, j’aimerais bien l’éditer… Mais je ne sais pas bien comment m'y prendre, je suis très timide et les éditeurs m'impressionnent. Je ne sais plus quoi faire. »
Super Grenouille s’adoucit soudain. Voilà un problème qui méritait son attention : pour une fois qu’on ne lui demandait pas de poursuivre un voleur !
« Tu t’adresses à la bonne personne, petite. Super Grenouille a déjà rencontré plusieurs éditeurs – des bêtes étranges, dressées sur deux pattes et des lunettes sur le nez pour lire les livres qu’on leur envoie.
— Alors, tu sais ce que je dois faire ? Tu sais comment je peux leur parler ? Peut-être que je dois les prier, tu ne crois pas ?
— Voyons, petite, je suis le seul que tu doives prier. Un éditeur n’est pas un Dieu, il est un lecteur, comme toi. Ta déférence ne doit aller qu’à moi. Tu dois t’adresser à lui comme à un égal, en allant droit au but, tu lui feras gagner son temps !
— Un éditeur est donc bien pressé ?
— Bien sûr, il a du travail pour publier ses livres ! Et de toute façon, si tu lui donnes ton manuscrit, il le lira : pas besoin de le flatter pour qu’il fasse son métier ! Toi, tu as l’impression que tu es la seule grenouille à écrire et à lui demander son avis, mais beaucoup d’autres ont fait la même chose avant toi. Il a l’habitude.
— Mais qu’est-ce que je peux lui dire, alors ? Je ne vais pas lui donner mon manuscrit et m’enfuir juste après, ça ne se fait pas ! Je peux lui dire que j’aime lire et écrire, que j’ai commencé à écrire parce que…
— Surtout pas, malheureuse ! Ces phrases-là, il les a déjà entendues cent fois, et elles ne l’aideront pas à savoir ce qu’il y a dans ton livre !
— Mais… Qu’est-ce qui peut l’intéresser ?
— De quoi parle ton histoire, tout simplement. Quelles valeurs ressortent, quel est le public… Les raisons qui t’ont poussée à la raconter, qui font que tu as envie de la partager. C’est ton texte qui l’intéresse, pas toi ! Et surtout, si tu le fais par écrit, soigne ta présentation et ton orthographe : une faute sur quelques lignes, ça ne présage rien de bon et ça le met dans de mauvaises dispositions ! »
La petite grenouille réfléchit un instant. Ç’avait l’air assez simple, finalement : donner le manuscrit et le raconter. Elle devrait pouvoir y arriver. Soudain, une idée lui traversa l’esprit :
« Mais, Super Grenouille…
— Quoi encore ?
— Quand est-ce que je dois lui donner, mon manuscrit ?
— Réfléchis un peu. Quand il est fini et relu, tu lui donnes dans un salon du livre ou tu lui envoies par courrier. Rappelle-toi bien que l’éditeur est quelqu’un qui travaille, avec des horaires de travail : si tu veux éviter que ton manuscrit attende sur la pile pendant un mois, ne l’envoie pas avant les vacances d'été ou celles de Noël. Et si tu l’appelles, fais-le en journée, pas le soir : il ne sera pas dans son bureau !
— Mais s’il ne répond pas ?
— Tu peux laisser un message, ou essayer de rappeler. Il peut avoir des réunions ou être déjà en ligne avec quelqu’un d’autre : ce n’est pas un drame ! Mais pour la première prise de contact, c’est quand même plus sûr d’envoyer un mail : comme ça, il le lira quand il aura le temps et te recevra mieux que si tu le déranges au milieu d’un entretien ou d’une réflexion. »
Bon. Pour résumer, la petite grenouille devait être directe, franche, et ne pas oublier que l’éditeur avait une vie en-dehors de son travail. Ça, elle pouvait le faire, c’était sûr ! Mais si malgré tout on ne prenait pas son roman ? Comment supplier l’éditeur pour lui faire comprendre qu’elle en avait besoin, que son manuscrit rentrait dans la ligne éditoriale ?
« Holà, petite, ne formule même pas ta question, cette fois. Quand un éditeur te dit non, même sans expliquer, c’est qu’il a une bonne raison. Tu ne le feras pas changer d’avis sans changer ton texte. Et crois-moi, il se souviendra de toi si tu as pris de son temps de travail en demandant des explications, et ton prochain manuscrit sera reçu avec la plus grande méfiance !
— Mais il devrait quand même expliquer pourquoi, non ?
— Rien ne l’y oblige. S’il n’a pas le temps ni l’envie de le faire, il ne le fera pas : ce n’est pas son travail d’aider les jeunes auteurs. De l'aide, tu peux en trouver sur la mare, avec plein d'autres grenouilles qui seront ravies de t'aiguiller si tu leur proposes ton expérience en échange. L'éditeur, lui, doit juste savoir si le manuscrit est publiable et s’il correspond au public de sa maison d’édition. Autant dire que si tu envoies ton manuscrit, tu dois le penser excellent : n’espère pas avoir juste un avis.
— Alors, je ne dois rien lui répondre ?
— Si, bien sûr. Tu peux envoyer un mail court et cordial pour le remercier de son attention si tu en as envie. Tu peux même lui dire que tu le retravailles.
— Et s’il me propose des pistes de travail avec lesquelles je ne suis pas d’accord ?
— S’il t’a laissé entrevoir la possibilité d’une collaboration, tu peux argumenter pour essayer de comprendre son point de vue. S’il te les a juste données parce qu’il a aimé ton manuscrit mais ne veut pas le publier, c’est inutile : c’était juste une information pour t’aider !
— Super ! Merci, grand esprit de la mare, je vais pouvoir envoyer mon projet à tous les éditeurs maintenant !
— Ne sois pas trop gourmande, petite. Cible les éditeurs qui te conviennent, il y a même un Grimoire Galactique des Grenouilles pour t'y aider. Et attention aux envois groupés qui montrent que tu l’as envoyé à tout le monde ! Ça ne fait vraiment pas professionnel… »
La petite grenouille, forte des conseils de Super Grenouille, lui dit au revoir avec un grand sourire. Elle lui plaqua même un baiser sur la joue pour le remercier, ce qui ne manqua pas de le faire rougir avant qu’il disparaisse à nouveau dans l’eau trouble de la mare.
La grenouille qui voulait publier son roman se mit en route vers le monde de l’édition : grâce au grand esprit de la mare, elle avait retrouvé son chemin !

D’autres conseils à déguster sans retenue :
Le contrat d'édition al dente
Les conseils de JC Dunyach
Les conseils du blog des micro-éditeurs
Les comités de lecture : comment ça se passe ?

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Merci beaucoup à Aelys pour son article !

3 commentaires :

  1. Excellente histoire ! Bravo Aelys ! :tournee:

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  2. J'aime beaucoup le ton de l'article, qui ne cache pas des faits et conseils tout ce qu'il y a de plus "pro" et judicieux.

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