lundi 21 septembre 2015

Interview de 2 serial bêta-lectrices !

L'été est fini, la rentrée est passée... Il est temps pour le blog de retrousser les manches et de vous parler boulot... Parce que ça ne chôme pas dans le forum, oh non ! Et aujourd'hui, nous allons regarder du côté des cycles.
Les cycles sont au cœur du travail que réalisent les grenouilles sur CoCyclics. Ils sont le seul outil qui permette sur le forum de travailler un roman entier. Pour un petit rappel, le cycle se décompose en quatre phases :
  • La phase I, aussi appelée alpha, où deux bêta-lecteurs lisent le roman et rendent à l'auteur une synthèse concertée sur les principaux problèmes de fond et de forme.
  • La phase II, où l'auteur, après avoir établi un plan de correction suite aux retours des alphas, applique ces corrections.
  • La phase III, aussi appelée bêta, où deux (voir trois) bêta-lecteurs lisent le roman corrigé, cette fois sans se concerter. Leurs bêta-lectures vont beaucoup plus dans le détail et sont donc portées dans le cœur même du texte (comme ce qui se fait dans les papyrus). Il s'agit plus d'une phase de peaufinage du roman.
  • La phase IV, où l'auteur effectue une nouvelle correction de son roman suite aux remarques reçues en phase III.

Dans nos articles Tintamar(r)e, nous avons souvent interviewé des auteurs passés par le cycle. Mais jusqu'à présent, nous n'avions jamais mis en avant les autres acteurs essentiels de ce travail : les bêta-lecteurs bien sûr. C'est un oubli que nous avons voulu réparer à travers cette double interview. Et nous ne sommes pas allés interviewer n'importe quelles grenouilles, mais de véritables serial bêta-lectrices de cycles !
Jugez plutôt :
  • Booz a réalisé deux alphas (phase I du cycle) et quatre bêtas (phase III du cycle)
  • Blackwatch bat tous les records de la Mare avec pas moins de cinq alphas et quatre bêtas !
Sytra est allée leur poser quelques questions pour mieux comprendre leur amour des cycles…


Vous êtes de véritables serial bêta-lectrices de cycles ! Pourquoi avoir participé si souvent à des cycles ?

Blackwatch : Parce que les auteurs sont doués pour me donner envie de travailler avec eux et de découvrir leurs textes ? :D Plus sérieusement, outre le fait que je ne peux jamais résister à une lecture qui m'intrigue et me titille les neurones, il y a aussi la volonté de pouvoir apporter son humble contribution dans un cycle de travail et de soutenir l'auteur dans le cycle – surtout si on est déjà passé par là !
Le cycle offre un encadrement que je n'ai pas retrouvé ailleurs. Je pense que pour l'auteur, ça offre un filet de sécurité, dans le sens où il ne se trouvera pas en plan avec des BL et qu'il sait qu'il peut aussi s'adresser aux permanents, par exemple si des difficultés surgissent. Même chose pour les BL – on sait que ce n'est pas facile de devoir formuler des commentaires, parfois durs, et ménager la sensibilité de l'auteur d'un autre côté.
J'ai continué à faire beaucoup de cycles, d'une part parce que les auteurs CoCy offrent des projets diablement tentants, et d'autre part, parce que je tiens aussi à garder une certaine collaboration avec ce forum qui a vu mes débuts en tant qu'auteur & BL. Bien sûr, cette collaboration est plus réduite qu'auparavant, mais retourner à la mare de temps en temps est indispensable.

Booz : Depuis mon inscription sur le forum, j'ai toujours trouvé très intéressant de bêta-lire des textes. Très vite les nouvelles se sont imposées comme mon genre de prédilection mais, par curiosité, j'ai voulu découvrir ce qu'il y avait "après", c'est à dire dans les strates plus profondes de la mare. Je suis devenue bêta-lectrice parce que je voulais voir ce que ça faisait de bêta-lire des romans. Depuis, je continue de laisser ma curiosité m'emporter (malheureusement pas assez souvent à mon goût, faute de temps), c'est pour cela que j'ai participé à tant de cycles, j'ai envie de découvrir de nouvelles plumes, de nouveaux univers, de nouveaux personnages.


Avez-vous repéré dès leur soumission en cycle les romans sur lesquels vous avez été bêta-lectrices ? Ou bien est-ce en suivant les phases I et II, ou en lisant la présentation de l'auteur au début de la phase III, que vous avez décidé de vous proposer comme bêta-lectrices ?

Booz : J'ai un peu honte de l'avouer mais, en dehors des romans sur lesquels je travaille, je suis de loin les différentes phases du cycle des autres textes. De ce fait, ma décision est prise très souvent dès la soumission. Ceci dit, je trouve ce moment plus propice à la réflexion puisque nous possédons, en dehors des extraits du roman, un synopsis et les intentions de l'auteur qui me permettent très rapidement de savoir si je suis prête à travailler sur ce texte avec cet auteur. Avec ma mémoire de poisson rouge, j'ai tendance à oublier les intrigues des anciennes soumissions, les motivations des auteurs, etc. Cependant, pour les phases III (la bêta-lecture détaillée des romans), je regarde toujours le déroulement des phases I et II. Plus que l'histoire générale, c'est la manière d'être et de travailler d'un auteur qui me convainc à postuler pour son cycle.

Blacky : Les deux, je dirais. J'ai guetté certains dès le début, quand pour une raison ou une autre, je n'étais pas dispo pour l'alpha. D'autres, je les ai découverts au fil des forums de travail et j'ai – impatiemment – attendu qu'ils progressent jusqu'en phase III.


Est-ce que vous avez l'impression que le travail sur chaque roman, en cycle, est assez similaire, ou bien est-ce que c'est toujours différent d'un roman à l'autre ?

Blacky : Oh, c'est chaque fois une aventure différente, de par le roman d'abord, et aussi au contact de l'auteur. Il y a aussi la collaboration, quand on se porte volontaire en alpha, avec les autres lecteurs, et celle, moins rapprochée je dirais, avec les co-bêtas en phase III. Ce qui est important, pour moi, c'est d'être à l'écoute de l'auteur et aussi de pouvoir s'adapter au manuscrit. De commencer la lecture avec un esprit ouvert et constructif. De repérer les besoins, les absences, mais aussi les points forts, ceux qui forgent la patte de l'auteur. C'est pour cette raison que chaque manuscrit représente une aventure en soi.

Booz : Chaque roman, comme chaque auteur, comme chaque bêta-lecteur est unique et je ne pense pas qu'on puisse travailler de manière identique sur chaque cycle que l'on suit. Quelle que soit la phase (I ou III), il faut s'ajuster en fonction du genre du texte, de son rythme, de sa visée. J'ai bêta-lu des textes très contemplatifs, d'autres avec une forte tension dramatique, d'autres encore très centrés sur les personnages et leur évolution. On ne travaille pas sur une romance comme on travaille sur de la fantasy urbaine ou de la SF un peu barrée. Il faut savoir s'adapter au roman.


Travaille-t-on de la même manière avec tous les auteurs ?

Booz : Et comme il faut s'adapter au roman, il faut aussi s'adapter à l'auteur. D'ailleurs, je pense même que ce point est plus important. Certains auteurs ont besoin d'être encouragés, soutenus durant leur travail, d'autres sont de véritables machines et corrigent presque plus vite qu'on ne les bêta-lit, d'autres encore on besoin de beaucoup échanger autour des remarques des BL et certains sont au contraire très taiseux. Et comme j'arrive à m'adapter assez facilement, j'apprécie chaque type d'auteur et me plie à ses exigences. Bien entendu, ce n'est pas toujours facile et quand on travaille aussi en profondeur sur un roman, on en oublie qu'il y a un auteur derrière, qu'il s'agit de son histoire et qu'il faut savoir respecter ses choix, même s'ils ne vous conviennent pas toujours. Avec le temps, j'ai appris à travailler plus en harmonie avec les auteurs et je cherche toujours à comprendre leurs attentes et leurs sentiments sur un texte avant de me lancer dans la bêta.

Blacky : Pas à mon sens. Comme je le disais plus haut, qu'on soit alpha ou bêta, l'important est aussi d'être à l'écoute de l'auteur et de pouvoir être là quand il a une question, quand il a besoin d'être soutenu, quand il doute, etc. Chaque personne est différente et c'est important de pouvoir s'adapter.
Je n'ai pas d'exemples précis sous la main, quand je dis qu'il faut s'adapter aussi à la personne qui a eu le courage de confier son manuscrit, mais ça peut vouloir dire répondre présent quand elle a besoin de dire son découragement, quand la tâche lui semble trop énorme pour qu'elle l'entreprenne comme aussi se mettre en retrait, quand la personne demande par exemple un délai de réflexion.
C'est aussi respecter les choix de l'auteur, quand ce dernier aime les ambiances plus tendres, plus romantiques, ou au contraire, plus réalistes/violentes, etc. C'est quelque chose par exemple à laquelle j'ai dû m'adapter lors de BL.


En phase I (alpha-lecture) et en phase têtard, on travaille en binôme ou en trinôme avec d'autres bêta-lecteurs pour rendre une synthèse à l'auteur. Est-ce qu'on travaille de la même manière avec tous les bêta-lecteurs ?

Blacky : Là non plus, pas à mon sens ! Je pense qu'il faut aussi montrer de la flexibilité, notamment quand on est impliqué dans une phase I ou une têtard. Venir avec ses idées, ses opinions, mais aussi être prêt à en discuter avec les autres. Le plus important, pour l'auteur qui lira la synthèse, c'est d'avoir un document clair, précis et surtout qui puisse lui montrer les lignes directrices du travail à effectuer. Ce n'est pas le stade où vous pouvez argumenter en long et en large sur la coquille de la ligne 35 à la page 70, par exemple.

Booz : Je vais paraître redondante mais chaque personne/roman/cycle/combinaison étant unique, on ne peut pas travailler de la même manière avec tous les bêta-lecteurs. Ma première expérience, sur une alpha justement, a été très importante pour moi car elle m'a donné les clés de l'analyse d'un roman. Il y avait un rapport de maître à élève en quelque sorte entre mon co-alpha et moi. Même si nos impressions avaient la même valeur, il m'a montré comment les organiser, sur quels éléments m'appuyer, etc. Ce fut très enrichissant. Ensuite, il y a les phases où on travaille avec les copains, on est plus à l'aise, on dit les choses directement, on se connaît au point qu'on sait la manière de travailler de l'autre. C'est un vrai bonheur. Et à mon grand regret, n'ayant effectué que deux alphas, je ne peux pas vous parler des autres cas, mais je suis impatiente de m'y frotter.


Comment abordez-vous les phases I en tant que bêta-lectrices ?

Booz : Toujours avec impatience. La curiosité me travaille énormément dès le choix des alphas fait et je trépigne presque en attendant d'avoir le roman. Ensuite, je l'imprime et le relie. Même si j'ai l'habitude de travailler sur l'ordinateur, mes lectures sont toujours plus attentives sur papier (et j'ai une mémoire très axée sur l'écriture manuscrite) et cela me permet aussi de prendre des notes. Selon la taille du texte, je fais une première lecture en diagonale, notant les passages et éléments qui m'ont dérangée. Généralement, c'est à ce moment-là que commencent les échanges avec mon/mes co-alpha. On se met d'accord sur les axes de la synthèse, on compare nos impressions, on note celles qui concordent et celles qui diffèrent, et on commence notre seconde lecture. Celle-ci est plus lente. À chaque chapitre, je note les différents éléments à revoir, détaille mes impressions, mes remarques pour pouvoir échanger avec mon co-alpha. Cela nous permet de construire notre synthèse à l'aide d'exemples précis. Puis, à la fin, je m'interroge sur l'évolution de l'intrigue/des personnages/de la tension et on fignole la synthèse le mieux possible avant de l'envoyer à l'auteur. On pourrait croire que le plus dur est fait mais c'est généralement le moment d'échange qui demande le plus de travail. Que ce soit avec un auteur que je connais bien ou non, il y a toujours une part d'appréhension qui gonfle en moi à ce moment, là où, selon moi, commence réellement la phase I/la têtard.

Blacky : En pratique, je lis d'abord le manuscrit en entier. Personnellement, je prends peu de notes, je préfère laisser reposer quelques jours après avoir fini le roman, histoire de pouvoir réfléchir à certains points qui m'auront interpellée durant la lecture et d'affiner mon ressenti. Ensuite, je dresse une première synthèse – un doc de travail, simplement, rien de bien élaboré – et j'en discute avec les autres alphas.


Même question pour les phases III ?

Blacky : La phase III est totalement différente, aussi bien en termes de travail que de contact avec l'auteur. J'avoue d'ailleurs avoir une préférence pour ce stade du cycle, même s'il représente souvent un travail de titan ! D'abord, parce que le dialogue avec l'auteur s'établit au fur et à mesure de la découverte du manuscrit, ensuite parce qu'on peut aussi discuter avec les bêtas sur leur ressenti, etc.
En pratique, je fonctionne chapitre par chapitre – ou autres sections, selon la structure employée par l'auteur. Je m'assure que ce dernier est d'accord sur la méthode de travail utilisée auparavant. Puis je commente au fur et à mesure de ma lecture. Une fois le chapitre fini, je dresse une rapide synthèse et je renvoie le tout au fur et à mesure à l'auteur. Quand le manuscrit est lu en entier, je dresse une synthèse générale.

Booz : Je l'aborde à peu près de la même manière. Impatience, impression du texte et première lecture sur papier pour avoir une vue globale de l'intrigue. Mais le travail me semble moins intime, moins intense aussi. Même si nous sommes au moins deux bêtas-lecteurs par phase III, nous échangeons rarement en off, travaillant les chapitres de notre côté et discutons des synthèses globales sur le fil du roman. Comme c'est un travail solitaire, il n'est pas rare que les bêtas lecteurs n'aient pas le même rythme, ce qui creuse encore un peu l'opposition entre la phase I et la phase III. Cependant, mon côté ours apprécie énormément de travailler en phase III. Je vais à mon rythme, les échanges sont moins intenses et l'aspect synthétique de l'exercice me correspond bien également.


Avec votre expérience, qu'est-ce qui différencie selon vous le travail de bêta-lecture en cycle et la direction éditoriale ? Y a-t-il des limites que les bêta-lecteurs ne doivent pas franchir ?

Booz : Alors, je n'irai pas jusqu'à dire que c'est le jour et la nuit parce que, sur le fond, le travail est sensiblement le même (relever les incohérences, chercher à améliorer le style du texte, son déroulement, etc.) mais à l'inverse des directions éditoriales, le cycle n'a pas pour vocation de publier un livre donc d'en faire un objet commercial. Bien entendu, je ne dis pas que les éditeurs chercher à formater les textes qu'ils publient mais ils peuvent davantage travailler un texte selon un angle particulier (collection, ligne éditoriale, etc.) et donc modifier certains pans de l'intrigue en fonction de cela. En cycle, il est proscrit de forcer la main à l'auteur pour qu'il modifie son texte selon notre point de vue, nous ne sommes pas là pour ça, nous ne faisons que donner un avis (aussi objectif que possible) et l'auteur peut en tenir compte où non. De plus, la finalité du cycle n'est pas, et n'a jamais été la publication (même si nombreux sont les auteurs qui rentrent en cycle en voulant faire publier leur roman par la suite) ; c'est avant tout l'amélioration du texte mais aussi (et surtout de mon point de vue) l'amélioration de la plume et des techniques de l'auteur. Je vois le cycle comme une étape dans sa construction d'écrivain et non comme un passage clé vers la publication.

Blacky : La direction éditoriale, à mon sens, tient compte d'éléments que nous autres, en tant que bêta/alpha, ne connaissons pas, à savoir la connaissance du marché du livre actuel et la position de la maison d'édition dans celui-ci. La ligne directrice d'un éditeur, ses goûts personnels, son expérience aussi vont entrer en jeu quand il se penchera sur un manuscrit dans le cadre d'une collaboration avec un auteur. C'est à mon sens un travail qui se révèle complètement différent de celui qu'un bêta/alpha peut apporter et tant mieux d'ailleurs, car l'un et l'autre se complètent souvent.


Pour la fin, un petit mot sur votre vision des cycles et ce que toutes ces expériences de bêta-lecture vous ont apporté ?

Blacky : D'abord, des liens humains qui m'ont énormément apporté sur le plan personnel. Le cycle est aussi l'occasion de faire la connaissance de personnes formidables, de resserrer des liens, bref c'est un aspect qui m'a beaucoup touchée et qui continue à le faire.
Ensuite, sur le plan de l'écriture, c'est aussi une expérience déterminante. À force de travailler sur les manuscrits des autres et leurs faiblesses/forces, on parvient mieux à déterminer ce qui ne va pas/ce qui fonctionne dans ses propres histoires !
Finalement – et c'est quelque chose que j'ai eu la chance de vivre à plusieurs reprises – c'est le sentiment de fierté et de satisfaction quand un manuscrit qu'on a lu, relu, annoté, etc. parvient en tant que livre dans les rayons des librairies et qu'on aperçoit l'auteur derrière la table de dédicaces. Juste génial.

Booz : Avant, je pensais être dure lors des soumissions pour les passages en cycles, ne pas accorder assez ma confiance aux auteurs. Avec le temps, je m'aperçois que je n'ai pas vraiment changé parce que travailler sur tous ces romans m'a confirmé à quel point le travail (pour l'auteur d'abord mais aussi pour les bêta-lecteurs) est long et difficile, et pourtant exaltant. En travaillant avec les auteurs sur leurs textes, en les accompagnant tout au long des cycles, en me confrontant à leurs difficultés et interrogations, je m'interroge sur mon propre rapport à l'écriture. Tous les cycles auxquels j'ai participé m'ont aidée à améliorer mes propres textes, à éviter peut-être certains écueils dont je n'avais pas conscience avant de les voir sur les textes des autres. De plus, j'ai aussi appris à prendre du recul sur mes écrits et leur réception. J'ai souvent remarqué que les cycles les plus efficaces concernaient les auteurs qui arrivaient à regarder leur texte avec une plus grande part d'objectivité, prêt à accepter ses lourdeurs, maladresses, incohérences pour le rendre meilleur. Je sais qu'un roman c'est un peu comme un enfant pour certains, mais quand on veut passer en cycle, il faut s'attendre à entendre des critiques, parfois dures, sur cet enfant. Si on n'est pas prêt à les affronter, je pense que c'est faire une erreur que de soumettre son roman.


Un grand merci à Blackwatch et Booz de s'être volontiers prêtées au jeu des questions/réponses pour cette interview !